Petit journal lusitan
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«Tenu à l'expression impersonnelle dans les reportages pour Le Monde et dans mes essais, écrits depuis vingt-cinq ans en parcourant les continents, l'envie me prit en 2000, au cours de périples ou d'escales en terres lusophones, d'utiliser pour une fois le " je ", d'apparaître moi-même au cours d'un récit de voyages. Impressions et sentiments personnels priment donc en ce Petit journal lusitan, rédigé sans apprêts, au jour le jour, au Portugal, à Madère et Porto-Santo et enfin à Rio-de-Janeiro. C'est un peu la face cachée d'un long reportage ; un coup d'oeil sur une façon d'être sui generis : la lusitanité ; le résultat d'un dépaysement, parmi les fantômes de Pessoa ou Torga et des empereurs du Brésil, ou chez les cordons bleus de Funchal, et Angra-do Heroismo, sans oublier une polémique sur l'Islam, au Brésil, avec le journaliste algérien Slimane Zeghidour...»
J-P. Péroncel-Hugoz
Extrait du livre :
Mercredi 30 août, Beja
Finalement l'endroit le plus émouvant du Portugal, du moins pour quiconque a connu la passion, c'est Beja - rien à voir avec Béjà de Tunisie si ce n'est que Beja la lusitane a été mahométane environ quatre siècles... -, cité alentejane, où furent écrites vers 1665 ces fameuses Lettres de la Religieuse portugaise, pic de la littérature amoureuse occidentale, particulièrement convaincantes lorsqu'elles traitent de la non-réciprocité sentimentale. Peut-être parce qu'on ne voulait pas reconnaître en France qu'une femme, une Portugaise, qui plus est au fond d'un couvent provincial, pouvait s'avérer capable d'écrire aussi puissamment, d'exprimer avec une telle vigueur tous les degrés d'un amour-passion, les cénacles gaulois du Grand Siècle concoctèrent que ces missives étaient nées de la plume de je ne sais plus quel secrétaire de Louis XIV... Ledit secrétaire étant inspiré par le récit des galanteries de Chamilly, officier commandant de 1661 à 1668 le contingent français, maintenu alors par Versailles autour de Beja, afin de protéger la dynastie portugaise restaurée des entreprises vengeresses des Habsbourg de Madrid qui, de 1580 à 1640, avaient réussi à s'imposer également à Lisbonne.
Mariana Alcoforado, clarisse du couvent de la Conception de Beja était une adolescente instruite (sans doute parlait-elle donc français), âgée de 16 ans lorsqu'elle rencontra l'officier du Roi-Soleil. Rien ne prouve au reste que l'idylle fut autre que platonique - et peu importe d'ailleurs ! L'important, c'est la beauté de missives qui ne peuvent avoir été écrites que par une femme, car les élans, les souffrances surtout qu'elles traduisent sont éminemment féminines. Les lettres de la Religieuse portugaise constituent le fruit amer de l'éternelle contradiction, à laquelle de nos jours on ne croit plus en Occident où triomphe l'«unisexe», entre la naturelle infidélité masculine et le tout aussi naturel penchant féminin pour la fidélité...
Ma nièce Stéphanie, forte d'une solide expérience en cupidonologie, me mande sur un ton rieur : «La Religieuse avouant qu'elle s'est intéressée à l'officier avant qu'il ne s'intéresse à elle, est donc une gourgandine, donc une femme ! Il est également possible que ces lettres aient été écrites par un homme misogyne (pléonasme ?), car la femme y est bien gourde. Dans tous les cas, je te dirai franchement que je n'ai pris aucun plaisir à cette lecture». Si elle n'a pas aimé cette correspondance, elle l'a lue toutefois avec acribie...